« Judeeeeee ! Et dis, dis, dis Juuuude, je m'embête ! Tu viens ?» Mi-amusé, mi exaspéré le jeune garçon de dix ans releva la tête en direction de « l'élément perturbateur ». Une blondinette toute débraillée et au regard suppliant. Sa meilleur amie de toujours, June-Aédan. Cette dernière se tenait à l'autre bout de la pièce, les bras croisés- le regardant de son regard espiègle. Sa couronne de cheveux blonds entremêlée lui donnait un air débraillé- air qui ne la quittait jamais étant donné sa délicatesse légendaire. C'était d'ailleurs ce côté sauvageonne qui intriguait tant Jude depuis qu'ils se connaissaient. Cette liberté totale dont la petite Junye semblait bénéficier ; ce manque d'inhibition. June elle n'aimait jamais à moitié, et ne faisait jamais dans la demi-mesure. C'était comme une bouffée d'air frais pour ce petit garçon timide qu'était Jude. Elle le tirait, l'obligeait à faire des choses folles et il jouait un peu le rôle de sa conscience, l'empêchant de faire de grosses bêtises. Ils étaient adorables, somme toute et très complémentaires. Des enfants tellement différents, mais faits pour s'entendre... Lançant donc un clin d’œil à son amie, Jude se leva, afin de suivre une nouvelle fois cette petite blonde pleine d'entrain. « Tu as gagné, j'arrive. » Et, malgré le ton exaspéré qu'il tentait de prendre, on pouvait lire dans le regard du petit garçon qu'il avait hâte.

« Sérieusement Aédan, il n'y a que toi pour ne pas te rendre compte que Jude est fou de toi. » Levant les yeux au ciel, la blonde ne prit même pas la peine de répondre à son amie. -Enfin, si on pouvait appeler amie une fille avec qui elle traînait en cours.- Depuis quelques temps courrait la rumeur qu'elle et Jude étaient en couple ou alors que Jude était fou d'elle. Or Aédan supportait mal les « on dit » et encore plus quand ceux-ci entachaient sa belle amitié avec son meilleur ami ; aussi faisait-elle la sourde oreille. De toute façon, ces bruits de couloirs étaient le lot quotidien au bahu, pas de quoi en faire une montagne, n'est-ce-pas ? D'ailleurs, en parlant du loup, voilà Jude qui entrait dans la salle de classe. Déjà Aédan lui faisait de grands signes pour qu'il vienne la rejoindre, non sans intimer le silence du regard à son interlocutrice. « Boucle d'or, tu m'as gardé une place ? Merci. » Il ne s'adressa qu'à Aédan, ignorant superbement le monde autour de lui quand il la serra dans ses bras pour la saluer. Il était communément ce que l'on pouvait appeler un solitaire à l'école, sauf en ce qui concernait Aédan. Pas étonnant que les mauvaises langues en cassaient sur leur dos. Mais elle n'en avait que faire, aussi se contenta-t-elle d'un magnifique sourire en direction du jeune-homme. Ce qu'elle ne voyait pas, en revanche, c'était ce regard qu'il posait sur elle quand elle avait le dos tourné. Ce regard clairement amoureux.

Allongée sur le sol de l'appartement qu'elle partageait avec Jude depuis leur sortie du lycée, Aédan pleurait doucement. Une douleur sourde lui vrillait la poitrine et elle entendait son sang battre à ses oreilles, alors que le souffle lui manquait. Comme si un trou béant s'était formé là où auraient normalement dû se trouver ses poumons. Elle avait envie de hurler sa peine au monde, mais savait qu'au fond elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même. Elle avait pris l'état actuel des choses pour acquis et à force de croire que tout lui était dû, elle avait perdu la personne la plus importante au monde à ses yeux. La belle idiote. Et elle ne pouvait s'empêcher de ressasser des regrets, en boucle, dans sa tête. Si seulement... Si seulement elle s'était rendue compte de ses sentiments plus tôt, si seulement elle avait eu le courage de montrer à quel point elle tenait à Jude, si seulement le destin ne s'était pas acharné sur elle. Fichu destin, cruel destin qui lui avait insufflé l'espoir pour ensuite le lui enlever directement. Elle n'avait jamais eu de chance en amour, c'était un fait. Elle avait toujours choisi les pires. Les « mauvais garçons ». Et elle avait essuyé quelques terribles peines de cœur et n'était plus du style romantique depuis un bout de temps déjà. Mais Jude avait toujours été là pour elle, essuyant inlassablement ses larmes. Puis elle avait finalement fini par comprendre, après plus de vingt années d'amitié : enfin! Ils étaient fait l'un pour l'autre; elle n'avait besoin que de lui... Seulement l'inverse n'était plus vrai puisqu'au moment exact où elle prenait conscience de ses sentiments, il lui présenta sa fiancée. Cette nouvelle était tombée sur la blondinette comme une douche froide. Elle avait tellement été obnubilée par sa propre personne et sa carrière qu'elle avait finit par laisser filer l'amour, le vrai. Et le pire, c'était qu'elle n'arrivait même pas à détester sa rivale convenablement. Cette demoiselle avait tout pour elle : la beauté, la gentillesse, même le rire délicat. De plus, elle réussissait parfaitement bien sa vie, elle- ce qui n'était pas le cas d'Aédan et ce malgré tous ses efforts, avouons-le. Belle idiote qu'elle avait été de croire l'espace d'un instant que Jude et elle finiraient ensembles. Car, quoique pu en dire la plupart des gens lors de leur adolescence, elle était celle qui ne valait pas l'autre. Et puis de toute façon, l'amour ça finit toujours mal.