Repas du soir. Sans Daemon. Meade avait soigneusement réfléchi chaque parcelle de cet instant, et ce, tout le long de sa longue et fatigante journée de travail : faire semblant d’avoir une plaisante conversation avec un fauteuil qui vous labourait le dos, c’était sans doute le pire boulot de tous les temps. Tant pis, l’heure était déjà tardive, certes, mais la soirée s’annonçait bonne pour Meade. Ou presque. Cuillère à soupe en main, pot de glace dans l’autre, elle rejoignit le canapé, rabattant une couverture sur ses genoux : tout était prêt pour le grand moment. Un film romantique à deux balles (histoire de la persuader que les histoires d’amour pouvaient encore avoir un sens), une glace sur laquelle larmoyer ce soir, et râler demain matin pour les kilos en plus (et tout ce qui allait avec) et surtout, surtout aucune présence masculine parasite qui ferait des réflexions à tout va. Mais c’est avec pertes et fracas que ses espoirs s’évanouirent : celle de la porte d’entrée se claquant, le sac de Daemon tombant dans un coin, dans un soupir de celui-ci. Bordel, il était pas censé être à Las Vegas avec ses potes, celui-là ? Ou même, en train de faire le beau Dieu seul savait où ?! Prise sur le vif, elle profita du trouble apparent de son colocataire pour planquer le pot de glace sous la couverture, pinçant les lèvres. « Quelqu’un rentre tôt, ce soir. » Et dire qu’à leur première rencontre, il s’était présenté comme un type qui ne dormait jamais ou elle ne savait plus quelle connerie qui l’avait bien faite rire. Elle n’eut, malheureusement, aucune réponse, et ne se rendit compte de la présence de Daemon que lorsqu’il se laissa tomber à côté d’elle sur le canapé. Fatigué, visiblement. Du moins, c’était ce que ses lunettes de soleil cachaient et soulignaient ouvertement à la fois : ce crétin devait avoir picolé en se laissant emporter par l’effervescence de Las Vegas. C’en était risible – encore une fois, et Meade ne put retenir un sourire moqueur à la vue de son ami.

« Aucun commentaire, Whitelaw. » Disait-il, en planquant son index contre les lèvres de la jeune femme, avant d’en faire de même avec les siennes, histoire de bien souligner qu’il était nerveusement de mauvaise humeur. « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? » Oui oui, c’était bien un accent concerné qui sifflait dans la voix de la jeune femme : ils étaient amis après tout, parfois des amis d’un autre genre, certes mais ce n’était qu’accessoire, ça, et il semblait plutôt mal en point. « Je bois trop. » Il semblait pris dans son râlage, tant et si bien que Meade s’octroya le droit de faire réapparaître sa glace, tournant sa cuillère dans celle-ci, un nouveau sourire trahissant l’inutilité des paroles de Daemon et la réplique cinglante qu’elle gardait entre ses lèvres closes. « De toute manière, c’est pas ça le truc... » Il souffla. Elle le regarda à nouveau, tentant tant bien que mal de lire derrière l’air soucieux de Fairchild, quoique ce soit, n’importe quoi. Sous le regard insistant de sa colocataire (qui ne semblait pas comprendre), il finit par fouiller dans sa poche, pour en ressortir une bague, qu’il passa à son annulaire gauche, dans un signe indéniablement exaspéré. Une courte démonstration, qui suffit à Meade pour ouvrir bouche-bée, avec l’effort inhumain de retenir un éclat de rire. « Mais qu’est-ce que t’as fabriqué ?! » Elle rit pendant de longues secondes, éveillant une certaine honte chez Daemon : lui, se marier, c’était un peu annonciateur de l’Apocalypse, même si ce n’était pas sérieux ; même dans un délire de la pire espèce, un type comme Daemon ne se serait jamais marié, ce n’était juste… pas dans son ADN. Les larmes aux yeux à force de rire, elle finit par reprendre son sérieux, se raclant la gorge avec difficulté. Heureusement, elle avait de quoi faire la paix, elle tendit le pot de glace à son ami, avant de se blottir dans ses bras. « Raconte tout à Maman Meade. Plus jamais je te laisse partir tout seul. » L'ironie de Meade semblait agacer le jeune homme, mais tant pis, c'était amusant.