eux jours. Cela faisait deux jours qu’Adriel n’avait pas vu Johann. Deux jours. Quarante-huit heures. Deux mille huit cent quatre-vingt minutes. Cent soixante-douze mille huit cent secondes. Ce n’était pas tant que ça, mais c’était déjà trop pour le militaire. Depuis que Joe avait failli mourir dans ses bras et qu’il s’était rendu compte des sentiments qu’il éprouvait à l’égard de son ancien subalterne, Adriel n’aimait pas passer beaucoup de temps loin de Moore. Surtout vu son état. Boitant depuis ce jour maudis, Joe faisait face à pas mal de démons, d’images de destruction, de mort et de tristesse, souvenirs de leur vie au front. Il arrivait aussi à Adriel de voir ce genre d’images mais moins. A vrai dire, il n’avait pas vraiment relâché la pression. Il était toujours en service même s’il était réserviste. Il ne laissait pas tout ça revenir. C’était quand les hommes lâchaient, quand l’adrénaline n’était plus aussi présente, quand l’attente et la peur ne les rongeaient plus, quand ils étaient de retour chez eux et désœuvrés qu’ils craquaient. Castiel en avait vu plusieurs péter les plombs. Il avait essayé d’en aider, avec succès ou non mais il n’avait jamais eu assez de temps à son goût, étant rappelé au front. Mais il n’allait pas laisser tomber Johann. Ça allait marcher. Il allait s’en remettre. Adriel s’en assurerait. Il ne pouvait pas l’abandonner. Pas lui. Il l’aimait. Contre tout. Même s’il savait parfaitement que Johann était hétérosexuel. Oui, il serait toujours là pour lui s’il le voulait. Il resterait à ses côtés tant qu’il le désirerait. Le titre d’ami lui suffisait amplement tant que Joe était heureux. Il risquait de vivre ce genre d’amour impossible qui brise les cœurs, détruit les rêves et anéanti les êtres mais il s’en fichait. Il n’y pensait même pas. Il n’y avait jamais pensé. Le seul bonheur de Moore lui importait et non le sien. C’était d’ailleurs à cause de Johann qu’il avait demandé à être réserviste. Pour ne pas avoir à le quitter. Pour ne pas le perdre. Lorsqu’il cauchemardait, Stevenson revoyait surtout cette dernière mission où Gillian avait failli perdre la vie. Il voyait des explosions et des morts, mais surtout cette fameuse scène lui brisant le cœur chaque fois un peu plus, alors même qu’il savait que Joe était vivant. Son inconscient aimait à lui rappeler la douleur que lui causerait la parte de son ami. Alors il avait négocié et avait réussi à devenir réserviste pour la fin de son contrat. Lorsqu’il avait pris cette décision, il savait que Joe aurait du mal à s’en remettre et n’avait pensé qu’à lui. Pendant un instant, l’opinion de son père avait moins compté que le bien être de Johann. Après deux jours sans nouvelles, il se décida donc à lui faire une petite visite. Il prit un bus, pour retrouver son ami le plus vite possible, et s’arrêta à l’arrêt le plus proche de l’appartement des Moore. Enfin, techniquement, c’était le logement de Cameron, la petite sœur de Johann qui accueillait son frère depuis son retour. Stevenson s’arrêta un instant, et si elle était là ? Elle ne pouvait pas l’empêcher d’entrer, n’est-ce pas ? Si, c’était chez elle et elle en avait tous les droits. Et Adriel n’était pas du genre à forcer une femme à le laisser entrer chez elle. Mais Joe serait là de toute façon, il ne le rejetterait pas. Adriel espérait qu’il raisonnerait sa sœur si celle-ci cherchait à le renvoyer chez lui. Il ne savait pas pourquoi Cameron le détestait. Il n’en avait aucune idée. Il ne comprenait vraiment pas. Alors sa plus plausible explication était qu’elle ne voulait pas quelqu’un qui rappelle l’armée à Johann auprès de lui. S’il savait combien il était loin du compte… Mais non, il n’en savait rien. Etrangement, Cameron était la seule du trio à s’être rendue compte de la nature de l’intérêt que Johann portait à Adriel. Stevenson était convaincu de vivre un amour à sens unique et Johann ne voyait rien ni les sentiments de Castiel ni les siens. Situation plutôt complexe et idiote, il faut l’avouer. S’il éprouvait des sentiments pour Gillian et pensait être d’accord avec le fait de n’être que son ami, en réalité Adriel désirait plus, bien plus. Une gentille petite vieille ouvrit la porte de l’immeuble à Adriel qui, une fois arrivé devant la porte de l’appartement, frappa avec une sorte d’angoisse au ventre à laquelle il n’était pas habitué. Personne ne répondit. Il insista, son poing rencontrant plus violemment la porte de façon à produire un son plus fort. Toujours aucune réponse. Ou ils ne voulaient pas répondre, ou ils étaient tous deux sortis, ou Cameron était sortie et dans ce cas Joe serait soit en train de dormir –auquel cas il ne voulait pas le déranger– soit en train de faire une grosse bêtise –bien qu’il ne l’en pensait pas à ce point mais dans l’angoisse toutes les perspectives lui venaient à l’esprit et le faisait stresser– et dans ce cas il se devait de l’en empêcher. Il fouilla alors dans les poches de sa veste pour en sortir les clés de l’appartement. Par quel miracle les avait-il ? Gillian les lui avait données –le rendant très heureux– quelque temps auparavant. Et il était presque sûr que Cameron n’en savait rien, ce qui le faisait rire lorsqu’il pensait à l’aversion qu’elle semblait éprouver à son égard. Après avoir insisté une dernière fois, on ne savait jamais qu’ils n’aient pas entendus, il enfonça la clé dans la serrure et la tourna, déverrouillant la porte qui le séparait de l’homme qu’il aimait. Se déplaçant en évitant de faire énormément de bruit si l’hypothèse où Joe dormait se révélait être la bonne, il se dirigeât vers le salon. Où il trouva Gillian endormit. Il soupira, soulagé que son affreuse et irréelle hypothèse soit démentie, et regarda son ami dormir, attendrit. Il était magnifique, très mignon et adorable, et Adriel eut du mal à détacher son regard du visage de Joe. Il réussit cependant et alla vérifier si Cameron était présente ou non dans l’appartement et il constata qu’elle était bel et bien absente. En revenant dans le salon, il se rendit compte que quelque chose clochait. C’est en regardant Joe qu’il mit le doigt sur le changement. Son expression. Il n’était pas paisible, loin de là. Et il avait également bougé. Tristesse, inquiétude, peur peut être et surtout douleur. Voilà ce qu’il pouvait lire sur le visage de Johann. Et ça lui serrait le cœur. Tout à coup, il se mit à bouger, à s’agiter. Un cauchemar. Comme beaucoup d’autres. Adriel s’approcha à toute allure, cherchant à être auprès de lui le plus vite possible. Ne pas le laisser seul. Lui venir en aide. Le temps qu’il n’y arrive, la couverture avait glissé et laissait apparaître un Joe presque nu, portant seulement un caleçon à carreaux. Cette vision stoppa l’action de Castiel. Et comme par magie, Joe s’arrêta un instant de bouger également. En outre d’être magnifique, Johann était super bien foutu comme on dit. Oh, il l’avait déjà vu torse nu lors d’entraînements ou autres mais maintenant tout était différent. Multiplié. Il dû s’arrêter un instant pour reprendre ses esprits et reprendre sa progression. Il arriva alors auprès de Moore qui recommençait à s’agiter. Il remonta la couverture sur son ami et le pris dans ses bras. Le plus doucement possible, il essaya de le réveiller afin qu’il sorte de son cauchemar et de cette douleur qu’il pouvait voir ou ressentir. Et il commença à lui parler doucement pour le calmer, tout en le berçant à moitié. « Joe, ça ira. C’est moi, Adriel, je suis là. Pour toi. Tout va bien. Ce n'était qu'un cauchemar. »
« Johann G. Moore »
membre Ҩ finding neverland
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๑ Son emploi : ancien 1st lieutenant dans l'us army, perçoit une pension d'invalidité.
Sujet: Re: (Johadriel) → you can be lost at the same time as being found Dim 3 Mar - 1:07
You can be lost as the same time as being found.
Bientôt deux mois. Bientôt deux mois qu'il avait quitté cet antre de la médecine militaire. Bientôt deux mois qu'il avait quitté les murs blancs, ce monde aseptisé. Bientôt deux mois qu'il était revenu à son monde, le monde qui aurait dû rester à jamais le sien, et pas un autre. Ne pas lui devenir tout bonnement étranger. Et pourtant c'était bien ce qu'il lui était tristement arrivé. Il lui avait fallu quatre semaines avant que sa soeur n'arrive à le faire sortir de son appartement. Une petite victoire. Une victoire peut-être oui, mais qui restait si infime, minuscule. Ridicule. Il acceptait parfois de sortir, et on avait beau lui dire tant et tant de vérités, de choses, de conseils, on ne pouvait pas changer ce qui était ancré au plus profond de son être en un clin d'oeil. Il avait passé six mois ou presque au milieu d'autres soldats plus ou moins gradés, tous plus abîmés les uns que les autres par les champs de bataille et la guérilla dans laquelle on les avait tous jetés. Et puis le retour, retour flambant à une réalité qui n'était plus sienne. Il vivait pour l'adrénaline qui était devenue addictive, malsaine drogue dans ses veines. Et aujourd'hui, plus rien ne procurait cela. C'était le vice des militaires rentrés du front, le vice des héros en herbe n'ayant plus d'ennemis à combattre autre qu'eux-même. Il confondait et mélangeait encore les codes et les signes de cet univers auquel il avait du mal à se ré-adapter. Comme il l'avait dit à Cameron, le vent pour lui gardait toujours le goût des brises sèches et des tempêtes de sable, qu'il ne le souhaite ou non. Mais même ses souhaits, même les voeux qu'il aurait pu formuler, il les confondait, il les mélangeait, se perdait encore et toujours dans les mystères de sa vie, les tréfonds de ses besoins et de ses envies. Sa vie, de toute façon, ne ressemblait plus à grand-chose, si au moins pouvait-on dire qu'elle n'avait jamais ressemblé à quoique ce soit. Il vivait sur le canapé-lit de sa soeur, errait comme un zombie, restait parfois des heures sans parler, des heures perdu dans ses pensées et ses souvenirs, à se parler à lui-même avec comme résultat qu'encore et toujours il se faisait les mêmes reproches. Mais c'était inutile, tout était tristement futile. Le passé était derrière eux, il était incapable de vivre précisément dans les temps présents, et en ce qui pouvait ne serait-ce qu'approcher et effleurer ses idées de futur, le flou était grand maître de ce cas. Il connaissait trop bien hier, ne vivait même pas dignement aujourd'hui et redoutait demain. Un cercle vicieux, un cycle infernal, un engrenage maladif dans lequel il avait mis le doigt et dont Johann ne pouvait tout bonnement pas se dépêtrer... C'était un petit miracle qu'il trouve le sommeil, mais le sommeil n'était jamais forcément bénéfique. Gillian n'avait plus aucun rythme, déconnecté du temps qui filait et de la vie qui à côté de lui battait peut-être bien son plein comme pouvait être inexistante. Il n'y prêtait pas attention. Le monde extérieur l'effrayait encore, en profondeur. Ridicule effrayement instinctif qui fuyait les rues d'une bourgade paisible après avoir arpenté la tête haute celles de lieux et de places du moyen-orient. Des mondes à des années lumières les uns des autres. C'était peut-être ça; la fracture était trop violente, le contraste trop frappant, pour qu'il ne puisse se remettre dans le bain de la vie quotidienne d'un homme américain normal sans encombre. C'était un petit miracle qu'il trouve le sommeil, mais il l'avait trouvé. Johann avait fini par tomber d'épuisement, sur son canapé qui était presque comme sa base, son lieu de vie le plus ultime. Enroulé dans une couverture, position quelque peu fœtale, réfugié avec lui-même dans une réunion avec ses mondes oniriques qui l'habitaient quand Morphée venait le cueillir et l'emporter dans son royaume. Mais l'assoupissement d'un esprit torturé par trop et tant de souvenirs et de remords, de regrets et de douleur, n'était pas toujours le meilleur qu'il puisse advenir, qu'il y avoir. Loin, bien loin, du sommeil du juste, le repos du guerrier ne cadrait pas avec l'expression qui lui était attribuée. Loin de là. Son esprit tortueux et lourd de sens, las de porter le poids du passé et de ces instants regrettés, de ces choix faits et maintenant inéchangeables, immuables, reconstruisait si bien les cauchemars et les peurs les plus primitives.. Et savait comme personne ne le pouvait, lui faire revivre au détail près ces secondes éternelles qui s'étaient gravées dans son coeur et sur son corps. Toujours la même rengaine, refrain entêtant qui le hantait à chaque fois qu'il fermait les yeux et sombrait. Grenades, explosions, des cris, les ordres. La surprise qui battait leur coeur, l'adrénaline qui montait dans leurs veines, moteur de leur salut associé à ces heures et ces heures d'entraînement, d'expérience, de combat et de missions qui se suivaient et ne se ressemblaient en fait jamais. Et puis, la grenade de trop, celle qui avait été sienne, celle qui avait explosé au mauvais moment, mauvais endroit, hélas pour lui. Hélas aussi pour sa jambe couturée de cicatrices, et sa hanche qui après opérations et rééducation ne lui permettait toujours pas de marcher correctement, ne lui permettrait jamais plus d'ailleurs. Il tremblait dans son sommeil, sommeil dérangeant, sommeil perturbé. Revivre ces instants était l'une des meilleurs tortures qu'on puisse lui imposer, apposer. Ses muscles s'étaient crispés. Tendu jusqu'à la moindre parcelle de son être, de son corps, de son âme. Replongé dans un combat intérieur, douloureux. Il croyait entendre la voix d'Adriel. Dans les bras duquel il avait bien failli y passer. Dans les bras duquel il avait vu venir son heure, une artère touchée et se vidant de son sang, hémorragie de la fémorale si dure à endiguer, juguler. Être arraché, à demi-mots, lentement et avec pourtant tant de violence, à ses cauchemars et ses souvenirs. Il tremblait toujours. Il tremblait toujours, tendu, crispé, au bord de la faille. Il quittait ce monde qui n'existait qu'en lui, dans son crâne, dans ses pensées, dans ses rêves, désormais. Et les paroles se faisaient un brin plus distinctes, intelligibles. Johann rouvrit les yeux en une fraction de seconde, alors qu'il semblait être un plongeur remontant à la surface de l'eau après de longues minutes d'apnée. La respiration rauque et saccadée, encore un peu désorienté, il battit des paupières, tentant lui même de se calmer un peu, calmer son coeur battant la chamade au creux de sa poitrine. Encore une seconde qui s'effilocha et finit par passer, avant qu'il n'ait complètement repris le contrôle et pied sur la réalité qui l'entourait.. et sur Adriel, qui tout comme lorsqu'il avait cru voir sa fin venir, le tenait dans ses bras. Une fraction de seconde en latence, tremblant, finalement pas si certain que ses délires oniriques ne soient finis, passa. La situation semblait figée, comme le temps, pour l'instant. Un instant de gêne. Johann passa une main dans ses cheveux bruns, une légère grimace passant fugitivement sur son visage. Une bombe venait encore d'éclater dans son crâne. Il était réveillé, mais les affres des combats restaient toujours un peu avant de se déliter plus ou moins de son esprit. Moore tira un peu la couverture sur lui, dégagé de l'étreinte de son ancien supérieur. Son coeur battait toujours beaucoup, beaucoup trop fort, se jetait contre les barreaux de sa cage thoracique, dans un rythme éclectique et désordonné. L'ancien 1st lieutenant déglutit, se prenant le crâne entre les mains alors qu'il s'asseyait au bord du canapé. Il ne voyait pas vraiment quoi dire. Castiel était un ami, un réel ami. Celui qui lui avait sauvé la vie. Sans lui... mieux valait ne pas y penser. « Je.. hm. Je cauchemardais et ça se voyait, hein ? » Il eut un sourire grinçant. Même pas avait-il cherché à savoir comment Stevenson était arrivé ici. Il avait les clés, il les lui avait confiées dans le dos de sa petite soeur. Il ne se posait pas ce genre de questions. À vrai dire, il y avait bien des futilités qui rythmaient la vie des gens normaux de cette ville qui ne l'atteignaient même plus.
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